Le futur du Catholicisme ?

Le futur du Catholicisme ?

Cette question était au programme d’un conférence organisée par trois associations catholiques (l’Association Luxembourgeoise des Universitaires Catholiques, le Centre de formation diocésain, et la Conférence Saint-Yves) fin février 2022. Trois universitaires venus d’horizon très différents ont tenté de donner des éléments de réponse.

1. LES TENDANCES DU CATHOLICISME FRANÇAIS

Tout d’abord, le Professeur Guillaume Cuchet, professeur d’histoire contemporaine à l’Université Paris-Est Créteil et auteur de livres à succès sur le sujet, a analysé les tendances du Catholicisme français. Tout en rappelant la particularité de l’Église de France dans l’histoire de la Chrétienté, le point de départ de son exposé est la « Décennie décisive » qu’a été le décrochage spectaculaire des années 1960 que certains historiens comparent en importance à la Réforme ou à la Révolution française. Pour le Professeur Cuchet, il y a vraiment là un basculement et nous sommes probablement en train de terminer cette séquence initiée il y a soixante ans.

Changement de format. La première tendance identifiée est celle du changement de format du catholicisme français. Sur les 800.000 enfants qui naissaient chaque année au début des années 1960, il y en avait 93% qui étaient baptisés dans l’Église catholique dans les 3 mois après la naissance. Aujourd’hui, c’est probablement 25% d’une génération dans les 7 ans.

Concernant la pratique dominicale (c’est-à-dire qui va à la messe tous les dimanches), ce taux était de 25% des adultes en France en 1965 avec des contrastes régionaux considérables. Aujourd’hui, ce taux est de 1.5% (il était de 1.8% avant le COVID). Suite à ce décrochage spectaculaire, les Catholiques sont devenus un groupe minoritaire qui a changé de nature du fait de sa diminution mais qui continue à se penser en majorité.

Changement de composition. La seconde tendance identifiée est celle du changement de composition du Catholicisme français. Il existait « une véritable matrice rituelle qui catholicisait à jet continue la société française » à hauteur de 90-95% de la population. 80% d’une génération faisait sa première communion puis sa participation chutait significativement avec un petit sursaut à partir de 65 ans. La génération du baby-boom, appelée « génération mutante », va décrocher de ce modèle. On a ainsi assisté dans les cinquante dernières années à l’implosion de la matrice catholique française qui était alors stable depuis la Révolution française.

En devenant minoritaire, la sociologie déjà particulière du Catholicisme français est en train de devenir de plus en plus spécifique. Actuellement, il a une sociologie en « U ». D’un côté du U, il y a les milieux populaires des grandes métropoles urbaines qui sont alimentés par une immigration d’origine chrétienne. C’est un Catholicisme vivant, multicolore et multiconfessionnel. De l’autre côté du U, il y a un milieu d’une grande vitalité composée de la bourgeoisie et de l’aristocratie qui a une longue tradition avec des habitudes de combat qui lui viennent de son héritage contre-révolutionnaire et de l’histoire mouvementée du Catholicisme en France. Entre les deux bords, il y a la société française dite « de souche », souvent issue d’une immigration européenne chrétienne, qui est complétement sous-représentée.

Changement d’environnement. La troisième tendance est celle du changement d’environnement dans le Catholicisme français. Deux faits majeurs ont modifié la géographie religieuse depuis 60 ans : l’arrivée de l’Islam et aussi des « sans religions ». Concernant l’Islam, en l’absence de statistiques officielles, on estime la population de Musulmans français à environ 5.5 millions. Le croisement des courbes de ferveur (c’est-à-dire ceux qui attachent de l’importance à leur religion) entre Musulmans motivés et Catholiques motivés a déjà eu lieu.

Mais le phénomène qui semble le plus important est la montée des sans religions (appelé les « NoNo ») puisque 63% des Français se déclare sans religion. Il s’agit de la 2e et de la 3e génération de décrochés (ils sont pas eux-mêmes les décrocheurs). C’est une véritable opportunité pour le Christianisme de repartir à zéro avec ces jeunes générations. Deux phénomènes viennent compliquer les choses : la crise morale actuelle de l’Église (plaçant un masque répulsif sur le Catholicisme) mais aussi le fait qu’il s’agisse d’une religion du passé (celle des grands-parents). C’est ainsi compliqué de « relooker » en produit d’avenir ce qui est perçu comme un héritage du passé.

Recentrage du Catholicisme français ? Le professeur Cuchet a souligné que si le Catholicisme minoritaire français souhaite survivre, il est nécessaire qu’il renforce son identité sinon il risque de disparaître en se diluant dans la société. Toute la question est de savoir comment piloter le recentrage identitaire afin de faire en sorte que le Catholicisme français ne se traduise pas par des effets de fermeture. À titre d’illustration, les milieux qui ont mieux résisté à la sécularisation et qui se sont le plus reproduits spirituellement dans les soixante dernières années sont les milieux qui ont appliqué a minima les consignes du Concile Vatican II. Ces milieux conservateurs ont développé un « savoir-faire » pour transmettre la Foi à leurs enfants et remplir les séminaires. Un chiffre illustre ce propos : l’aristocratie représente 0.2% de la population et compose 15% des séminaristes.

2. LA SÉCULARISATION CROISSANTE DE LA SOCIÉTÉ LUXEMBOURGEOISE

Le Professeur Philippe Poirier, professeur de sciences politiques à l’Université du Luxembourg, a ensuite présenté la situation de la religion au Luxembourg. À partir de recherches et de données statiques très récentes, deux tendances ont été constatées : le renforcement de la sécularisation au Grand-Duché, et la progression des représentations sociales libérales.

Société post-matérialiste. Le Luxembourg est une des sociétés les plus prospères d’Europe et est en train de vivre une transformation radicale de sa structure économique, sociale et culturelle. Le Grand-Duché est passé d’une société dite « matérialiste », qui reposait sur les piliers de l’autorité, de l’économie et la croissance (avec un attachement à la communauté et à la religion), à une société « post-matérialiste » dominée par le libéralisme culturel et qui est « a-religieuse ».

La félicité personnelle. L’identité personnelle des Grand-Ducaux (comprenant les Luxembourgeois et les résidents étrangers) est en pleine recomposition et se construit dorénavant autour des valeurs de l’autonomie personnelle, du travail et de l’acte de consommer. Le Luxembourg est devenu une des sociétés les plus libérales d’Europe, au même niveau que les Pays-Bas, avec l’acceptation à des taux supérieurs à 80% concernant les changements sociétaux comme l’homosexualité ou les nouveaux moyens de reproduction. La structure sociale luxembourgeoise se caractérise dorénavant par le modèle de la « famille recomposée », la réalisation du couple qui ne se pense plus nécessairement avec des enfants, l’émancipation et l’autonomie de la femme, ou encore l’affaiblissement des liens intergénérationnels. C’est une société de l’abondance mais où la félicité est d’abord personnelle.

A-Dieu. Dans ce contexte, la croyance en Dieu n’est plus une croyance majoritaire et c’est la première fois dans les statistiques luxembourgeoises que l’on constate que la majorité de la population dit ne pas avoir de religion. On est ainsi passé, en moins de vingt années, d’une société structurée autour de la religion catholique, à une société libérale. Ce mouvement est très similaire à ce qui s’est passé au Québec.

Christianisme et Islam. La principale religion pratiquée au Luxembourg demeure le Catholicisme avec comme principal moteur les populations immigrées (notamment les Portugais et les Français) qui ont une pratique religieuse constante et qui se maintient dans le temps. Le deuxième groupe de croyants est celui des Protestants et des Évangéliques qui connaissent une certaine vitalité au sein des populations lusophones, germaniques et scandinaves. Et le troisième groupe est l’Islam qui s’est essentiellement constitué dans les années 1990 suite à l’immigration venant de l’ex-Yougoslavie mais qui se diversifie aujourd’hui avec le développement de la place financière.

La crise de la médiation. Les formes de médiation entre l’État et l’individu sont toutes en chute que cela soient les partis politiques ou la vie associative à l’exception des associations sportives et des mouvements tournés vers l’écologie. Les Grand-Ducaux ne font plus confiance aux institutions comme les églises et les institutions religieuses (catholique, protestantes, Shoura, …). Dans ce contexte, les églises et les religions sont perçues comme des « ONG » dans leurs relations avec l’État et les Grand-Ducaux comprennent le rôle des religions comme limité à la prestation de services pour la société.

Concernant les pratiques religieuses, on sait que la religiosité concerne un tiers de la population. 25% des Grand-Ducaux considèrent que la religion est une chose importante dans leur vie et 15% de la population participe à des fêtes religieuses. Ceux qui restent dans la religion sont par contre plus pratiquants et le fait d’être minoritaires renforce la pratique religieuse.

Le tableau esquissé par le Professeur Poirier montre qu’une véritable révolution sociale a eu lieu avec l’instauration d’une nouvelle matrice qui impacte l’ensemble des rapports sociaux. Au risque de perdre leur raison d’être, les Catholiques luxembourgeois doivent éviter de prendre d’un côté le chemin du repli identitaire et de l’autre celui de la transformation de l’Église en une « ONG ». Il existe donc de beaux défis à relever pour les Catholiques au Luxembourg !

3. DES PISTES DE RÉFLEXION POUR L’AVENIR DE L’ÉGLISE

La troisième intervention a été donnée par le Professeur George Hellinghausen qui est prêtre catholique et historien. Il a proposé plusieurs chantiers pour penser l’Église de demain.

Le catholicisme futur sera minoritaire et urbain comme l’a été le christianisme à ses débuts. C’est essentiellement dans les grandes agglomérations que la masse critique d’habitants permettra de faire vivre des communautés de fidèles. Pour se reconnaître et pour être reconnus en métropole, les Catholiques devront s’identifier par des signes privés (par. ex. le signe de la croix avant le repas ou la génuflexion dans l’église) et des signes collectifs (e. a. fêter en commun des temps spécifiques chrétiens).

La présence de l’Église devra être repensée avec le peu de prêtres qui resteront. Ils seront essentiellement des ministres itinérants. Les obsèques seront un lieu principal de contact avec la société et la pastorale funéraire devrait être particulièrement soignée. La religiosité populaire, comme l’Octave de Notre-Dame ou la procession dansante d’Echternach, devra être soutenue tout un cherchant un juste équilibre entre cultuel et culturel.

L’Église doit être là pour tous. L’engagement altruiste et social de l’Église, de ses congrégations religieuses, et de ses associations d’inspiration chrétienne, devra rester au profit de tous et surtout des défavorisés. Les Catholiques seront un petit nombre au service du bien et du salut de tous.

Une grande liberté pour le Chrétien individuel. Le croyant façonnera sa manière de voir sa vie et celle de l’Église, selon l’ancien adage attribué à saint Augustin : « pour l’essentiel l’unité, dans le non-essentiel la liberté, en toutes choses la charité ». Le dilemme entre rigorisme et laxisme devra être dépassé : en adoptant le rigorisme, les Catholiques deviendront une secte. Avec le laxisme, les Catholiques se dilueront dans le siècle. La sagesse de l’Église consiste toujours à trouver le bon équilibre, c’est-à-dire le bon chemin entre les extrêmes.

« Liquid church ». Ce mot utilisé par le moine Zacharias Heyes renvoie à « liquéfaction ». Si quelque chose se liquéfie, cela passe dans un autre état d’agrégation. La pratique chrétienne sera comme des éléments dans le puzzle de la vie sécularisée. Beaucoup de Chrétiens ne se sentent plus liés à une Église comme jadis, mais la foi, le christianisme, la religion apparaîtront dans leur vie sous forme de petites touches, de pierres de mosaïque, avec une importance ponctuelle peut-être. Les Catholiques luxembourgeois deviendront, selon le chanoine Georges Vuillermoz, des « U-Boot-Christen », c’est-à-dire des chrétiens sous-marins qui ne remontent de l’eau que de temps à autre.

EN CONCLUSION : LES DÉFIS A VENIR !

Une audience nombreuse a assisté à cette conférence et est ressortie après plus de deux heures avec des éléments de réponse théorique et pratique sur l’avenir du Catholicisme. C’est dans un contexte général d’affaiblissement des médiations entre les individus et l’État et de l’accroissement considérable des « non religieux » que les Catholiques doivent dorénavant trouver leur place. Leur dilemme étant bien celui de constituer un petit troupeau de croyants pour survivre (Pape émérite Benoît XVI) tout en se rappelant qu’ils sont appelés à donner leur vie au service de leur prochain quel qu’il soit (Pape François).

Michel Dauphin, Association Luxembourgeoise des Universitaires Catholiques
William Lindsay Simpson, Conférence Saint-Yves

 
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