Quand la voix des femmes se fait entendre au Vatican

Un article de Marie-Lucile Kubacki paru dans La Vie (2.06.2015)

Du 29 au 31 mai avait lieu au Vatican un colloque organisé par le supplément féminin mensuel de l’Osservatore Romano, le journal du Vatican, « Donne, Chiesa, Mondo » (« Femmes, Eglise, monde »). L’occasion pour les participantes venues du monde entier de débattre et de faire entendre la voix des femmes à quelques mois du synode sur la famille.

Proposer « un point de vue féminin » et des « solutions féminines » puisées dans le trésor du christianisme avant le synode d’octobre : telle était l’ambition du colloque organisé par le supplément féminin mensuel de l’Osservatore Romano, le journal du Vatican, Donne, Chiesa, Mondo (« Femmes, Eglise, monde »), ainsi que l’a défini l’historienne Lucetta Scaraffia qui coordonne la publication.

C’est au milieu des jardins du Vatican, dans la bucolique casina Pio IV, siège de l’Académie pontificale des sciences que s’est réunie une assemblée très – mais pas exclusivement - féminine marquée par une large diversité de sensibilités et la présence de théologiennes, philosophes, historiennes, journalistes, responsables politiques et d’associations du monde entier. Un « synode des femmes » de trois jours pour mettre le projecteur sur quelques « urgences » : viols de guerre, abus sexuels au sein de l’Église, accompagnement des femmes confrontées à la question de l’avortement, érotisation prématurée du corps des adolescentes, difficulté à l’engagement dans la société contemporaine.

Face à ces « urgences », les femmes présentes ce weekend ne se payent pas de mots et demandent : concrètement, quel peut-être l’apport de l’Église ? Le problème n’est pas simple. En écoutant ces voix venues de partout dans le monde, explique Lucetta Scaraffia, nous constatons que l’Église a une image très différente selon l’endroit du monde à partir duquel elle est jugée.
"En effet, alors que dans l’Occident riche et qui se sent moderne, elle est considérée comme une institution patriarcale désespérément arriérée, dans le reste du monde, elle est plutôt vue comme l’institution qui défend plus et mieux la dignité des femmes. » Ainsi, dans de nombreux pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique Latine, l’Église qui œuvre pour développer l’accès à l’éducation et lutte contre toutes formes de violences, apparaît comme un refuge et un espace d’émancipation pour les femmes : le lieu de l’égale dignité avec les hommes – même si l’intervention d’une théologienne congolaise sur la crise religieuse en Afrique et notamment le harcèlement sexuel dont certaines religieuses font l’objet oblige à l’auto-critique.

En Occident, néanmoins, où le féminisme s’est le plus développé, elle tend souvent à être perçue comme un obstacle à cette émancipation. Lucetta Scaraffia pointe le paradoxe : « L’émancipation des femmes, en tant que projet politique et culturel, a émergé au fil du temps dans les pays d’origine chrétienne, bien que sécularisés. Ce simple fait devrait permettre de comprendre combien le lien entre l’autonomisation des femmes et le christianisme est étroite, depuis le début. »

L’historienne souligne la présence et l’importance des femmes dans les Évangiles, puis dans les premiers siècles de la propagation du christianisme. Le christianisme exerce alors « une véritable attraction, ce qui s’explique par le fait que la nouvelle religion offre aux femmes la possibilité d’une véritable égalité spirituelle ». Parité qu’il est possible « de réaliser jusqu’à la sainteté - depuis le début des saints hommes sont aux côtés des femmes saintes - et dans le choix de la chasteté dans le cas d’une vocation religieuse - la naissance du monachisme masculin avec Antoine s’accompagne l’émergence du monachisme féminin avec Synclétique - mais aussi dans le poids égal des droits et taxes imposés aux deux conjoints dans un mariage chrétien. Un cadre inédit de l’égalité des chances entre les hommes et les femmes ».

A présent, l’extrême tension de la situation géopolitique internationale, le recours au viol comme arme de guerre qui expose les femmes à des menaces de plus en plus grandes et l’instrumentalisation du religieux appellent à une parole forte des religions sur le rapport hommes-femmes en général et la condition des femmes en particulier. « Le retour de la religion sur la scène internationale a été considérée par les analystes, des universitaires et des diplomates comme un aspect de l’avènement d’une ère post-sécularisée qui ne concernait - donc - pas seulement les affaires intérieures de certains pays. Mais à l’intérieur de ce cadre la condition des femmes revêt une importance cruciale : du christianisme, en effet, est venu une véritable égalité spirituelle, la base symbolique qui a permis de construire ensuite un véritable égalité sociale et il est particulièrement important, surtout en ce moment, que l’Église reprenne contact avec ses origines « féministes » ». Pour cela, martèle Lucetta Scaraffia, « un regard féminin sur la tradition chrétienne est essentiel afin de retrouver en elle de quoi répondre aux nombreux problèmes des femmes d’aujourd’hui, des problèmes qui ne sont pas abordés dans le monde séculier et même, dans de nombreux cas, même pas considérés ».

Un regard féminin sur la famille, d’abord. Et comment ? Le modèle de la famille traditionnelle est en crise, hommes et femmes sont confrontés à une redéfinition de leurs rôles. Rôles paternels et maternels sont eux aussi bousculés, avec en arrière-plan un manque de reconnaissance social et culturel de la procréation dans une culture obsédée par l’efficacité professionnelle et le mythe de la working girl.
« De nombreuses personnes- surtout les jeunes, note l’historienne - se rendent compte que le point de vue chrétien est le seul vraiment libre, vraiment révolutionnaire par rapport à un conditionnement culturel lourd auquel nous sommes soumis. Il n’en fut pas toujours ainsi : c’est une nouveauté, et peut-être que beaucoup continuent d’être incapables de la voir. »
Giulia Galeotti, journaliste à l’Osservatore Romano fait ainsi remarquer : « La neutralité (des sexes, ndlr.) n’existe pas. Le cas échéant, le seul modèle qui resterait serait le modèle masculin, plus fonctionnel dans une société qui a un intérêt très clair à effacer et soumettre chaque personne à des principes d’efficacité de nature essentiellement économique. »
Lucetta poursuit : « La maternité reste un élément consubstantiel de l’existence féminine. A cause de cela, les femmes sont des personnes anti-individualistes » Et cet anti-individualisme chatouille la culture dominante. Là dessus, l’Église a une parole prophétique à apporter, si tant est qu’elle s’enracine dans le féminisme des origines.
En accordant plus de place aux femmes lors du prochain synode ?

Marie-Lucile Kubacki

 
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