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LA PRATIQUE LUXEMBOURGEOISE EN MATIÈRE DE DROIT INTERNATIONAL PUBLICLa Conférence Saint-Yves, avec l’Oxford University Society of Luxembourg et la Cambridge Society of Luxembourg, ont organisé ensemble une conférence sur la pratique luxembourgeoise en matière de droit international public le 7 février dernier dans les locaux de l’étude Elvinger Hoss Prussen. À la suite des traditionnels propos introductifs du Président de la Conférence Saint-Yves, Maître Patrick Kinsch (Avocat à la Cour et Professeur de droit international privé (Université de Luxembourg) a pris la parole pour présenter et mettre en perspective la Chronique de droit international public qu’il publie avec l’Ambassadeur Friden dans Les Annales du droit luxembourgeois. Puis l’Ambassadeur Friden (Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire, Représentant permanent du Luxembourg auprès de l’UE) a exposé trois exemples ré-cents illustrant les difficultés pratiques de l’application du droit international public. Une séance de questions/réponses d’un intérêt particulier, notamment sur la place du droit international dans le paysage politique luxembourgeois, s’est ajoutée à la conversation de deux amis passionnés par le sujet. La pédagogie et la promotion d’une vision vivante et accessible à tous de la pratique juridique, deux points extrêmement importants pour la Conférence Saint-Yves, étaient au cœur de cette conférence et ont permis aux auditeurs de donner un cadre à cette matière et de se « l’approprier ». Il convient tout d’abord de rappeler que la toute première chronique publiée par Maître Kinsch et l’Ambassadeur Friden, en 1995, abordait cette question et la solution jurisprudentielle qui avait alors été élaborée. Un condominium se définit comme une souveraineté exercée par deux ou plusieurs États sur un même territoire. Dans le cas évoqué, à savoir le condominium de la Moselle, la question avait été résolue à propos d’une infraction réalisée sur ce cours d’eau frontalier. La solution retenue prévoyait une compétence répressive pouvant être exercée tant par les juridictions allemandes que par le juge luxembourgeois. Condominium signifiait alors l’applicabilité des deux lois. Chaque juge saisi devait appliquer le droit qui lui était soumis : le juge allemand imposant la loi allemande et le juge luxembourgeois appliquant le droit pénal luxembourgeois. Cependant une évolution récente de la jurisprudence, en 2011, voit une situation diamétralement op-posée. En effet, saisie dans une affaire de TVA, le juge luxembourgeois retient qu’un navire, voguant sur la Moselle, se trouve en dehors du territoire national. Ce qui signifie que le droit national ne peut lui être appliqué. La problématique naît de la solution identique choisie par les juridictions allemandes. Un navire ne serait partant soumis à aucune des deux lois nationales, et échapperaient donc à la TVA ? Maître Kinsch, sceptique, soulève à juste titre la question de la compatibilité de cette opposition des solutions en matières fiscale et pénale, et de la finalité de ce conflit, qui semble visiblement être con-traire au droit de la concurrence et au droit international public. Cependant, cette idée n’est pas une innovation luxembourgeoise ! En effet, la lecture de chroniques existantes en droit international public, en France, en Belgique, dans le American Journal of International Law aux États-Unis, ou dans le British Yearbook of International Law, montre l’importance de ces revues. Ces chroniques internationales, émanant de grands États disposant d’une pratique internationale très active, doivent évidemment travailler par voie de référence. Ainsi, chaque affaire ou docu-ment se présente sous un résumé de cinq lignes avant un renvoi à d’autres publications. À l’opposé, la chronique luxembourgeoise vise la publication de documents complets car ceux-ci demeuraient et demeurent difficilement accessibles. Il faut concevoir que 25 ans plus tard, nous en sommes toujours au début de cette méthode de publication systématique, la base de données de la jurisprudence nationale n’étant ouverte que depuis l’année dernière. La véritable inspiration de cette chronique provient de la Confédération Suisse qui dispose d’une revue de droit suisse et européen, présentant une chronique très similaire et visant la reproduction de documents. Le plan de la chronique suisse, identique à notre chronique luxembourgeoise, se soumet aux règles de présentation de documents du Conseil de l’Europe. Mais qui dit chronique dit classification. La publication n’est pas sélective en matière de sources, nos orateurs souhaitant présenter la pratique de tous les pouvoirs publics dans la mesure où ils peuvent en avoir connaissance. Cette publication contient ainsi les travaux du pouvoir législatif, entre les moult projets de loi et avis du Conseil d’État, auxquels s’ajoute la pratique des pouvoirs judiciaires et du pouvoir exécutif, ce qui devrait constituer la pratique internationale d’un État. Si les Suisses peuvent se targuer d’avoir un Département fédéral des affaires étrangères dont le département juridique publie de nombreux avis, le service juridique du Ministère des Affaires Étrangères grand-ducal, affectueusement surnommé “la grande muette” par Maître Kinsch, se montre quant à lui discret. En application de la classification retenue, ce que chaque Chronique ne manque pas de rappeler, la publication des arrêts et textes doit se faire sans commentaires interprétatifs ou critiques. Quels meilleurs exemples de ce principe que la publication des réponses ministérielles aux questions parlementaires. Si celles-ci sont parfois de grande envergure, d’autres inspirent un certain scepticisme. Qu’à cela ne tienne, elles seront publiées sans aucune approche interprétative ou critique. Mais cela permet des séances de préparations et de sélection passionnantes à nos deux rédacteurs en chef. Maître Kinsch révèle un débat avec l’Ambassadeur Friden concernant la non-publication de traités d’intérêt dit mineur. Si l’absence de publication est tout à fait justifiée par le droit national du cosigna-taire au traité (pour ne pas citer notre irréductible voisin gaulois), on relève parfois une absence également au Luxembourg, en contradiction avec notre droit constitutionnel. Ce long processus de création d’une chronique la rend parfois imparfaite aux yeux de Maître Kinsch. Elle ne peut-être qu’incomplète, on ne peut malheureusement tout publier, mais on ne peut que constater que sans elle, un vide règnerait. De nombreux documents ne connaîtraient aucune publication, et sombraient dans l’oubli malgré l’âge d’internet. Et sans le soutien des Annales, un tel travail serait impossible, même si l’idée d’un site internet dédié s’est posée, sans suite. Les tribunaux luxembourgeois ont en effet proclamé la supériorité des traités internationaux au droit constitutionnel luxembourgeois. Cette jurisprudence, maintenant adoptée comme principe classique et constant en droit interne, n’était pas si simple à envisager. La majorité des réponses internationales à cette question sont opposées et négatives : nos amis américains en tête, l’Allemagne voit elle sa Constitution comme suprême et l’Italie va même plus loin, sa Cour constitutionnelle ayant considéré un article de la Charte des Nations-Unies comme contraire à sa Constitution. Au Luxembourg ce n’est pas le cas. Il croit fermement en la primauté des traités sur le droit national. Ne parlons pas du XIXème ou du début du XXème, où il semble que le principe de la primauté des traités sur le droit interne postérieur n’était pas officiellement reconnu. Pour ces périodes, Monsieur le professeur Luc Heuschling a fait un travail remarquable sur les travaux parlementaires de l’époque, auquel il convient de vous renvoyer. Les archives permettent de découvrir que les juristes de l’époque reconnaissaient que les traités doivent primer, mais pour des raisons d’ordre politique selon de nombreux avis. Une telle jurisprudence s’explique peut-être tout autant par la situation particulière du Luxembourg, notamment en cas de conflits militaires. Le Luxembourg n’existe qu’en raison des traités internationaux, et il aurait facilement pu disparaître si l’un de ses voisins l’avait souhaité. Que dire dans cette hypothèse de la vente du Grand-Duché de Luxembourg à Napoléon III envisagé par les Pays-Bas ? Un compromis était signé pour un prix fixé de 5 millions de florins : la vente était donc parfaite. Aux termes du Code civil, le Grand-Duché revenait dans le giron de son voisin français. Cela était sans compter, Dieu merci dira-t-on, sur l’opposition de Bismarck qui l’a finalement emporté. Les Luxembourgeois n’avaient donc que très peu de poids, et cela reste dans une certaine mesure toujours vrai aujourd’hui. C’est à son avantage que tous les États respectent les traités internationaux, d’où une idée de suprématie du droit international. D’ailleurs, lors de l’introduction du contrôle de constitutionnalité des lois, la loi portant introduction de notre Cour Constitutionnelle n’a pas oublié cette suprématie, le contrôle des lois ne pouvant s’appliquer à la loi d’approbation d’un traité. Mais venons-en à cette jurisprudence, et la « saga » d’une guerre entre un journaliste et un ministre. Si l’un des deux est aujourd’hui décédé, le second vit encore et dispose partant du droit à l’oubli. Le règlement sur la protection des données provient d’un traité international, il serait donc malvenu de le violer dans cet article. Notre affaire commence par un scandale. Le directeur d’un journal de la presse d’opposition à l’époque avait découvert que le président d’un club de tennis de table aurait commis une fraude fis-cale, de très faible envergure noterons-nous, en ne déclarant pas un aspect des dépenses soumises à la TVA, dépenses de quelques milliers de Francs Luxembourgeois. Quel scandale direz-vous. Mais ce président était également ministre. Ministre qui, au vu de la presse, n’hésite pas à se présenter face aux journalistes télévisés, et accuse donc ce journaliste de diffamation, diffamation qui servait son agenda politique d’opposition. Premier rebondissement, c’est finalement notre journaliste qui rétorque en citant directement devant le Tribunal le ministre en diffamation, et non l’inverse. L’intérêt juridique de la saga apparaît rapidement. Le ministre, membre du gouvernement, bénéficie d’un privilège de juridiction en application de la Constitution. Un vieil article, qui avait survécu depuis le fond des temps et la Constitution belge des années 1830. Ce privilège impliquait qu’un ministre devait être mis en accusation devant la Chambre des Députés avant un procès devant l’Assemblée générale de la Cour Supérieure de Justice. Et notre journaliste, devant l’argumentaire de l’équipe juridique du ministre, de répondre que cet article de la constitution serait contraire à l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (la « Convention »). Une série de jugements et arrêts vont alors intervenir, que nous vous invitons à relire dans les diverses chroniques de nos orateurs. L’histoire continue par un jugement du Tribunal d’Arrondissement de et à Luxembourg, qui tranche en faveur de la suprématie de la Constitution. Le président de l’époque, Monsieur Prosper Klein, n’avait pas hésité à rappeler que le Tribunal considérait qu’aucun texte de loi ne saurait déroger au texte suprême qu’est la Constitution. Il ne manquait pas de faire sienne l’idée que tout magistrat, en entrant en fonction, prête le serment sous l’égide de la Constitution, et non sous celle de la Convention. Appel ayant été interjeté par le journaliste, la Cour d’Appel va alors faire sensation en décidant que la solution inverse doit s’imposer. Le Tribunal se serait trompé, un traité international comme la Convention doit prévaloir en cas de conflit, en ce que la Convention de Vienne sur les traités internationaux le prévoit. Cependant, en l’occurrence, si le privilège des ministres de ne pouvoir être mis en accusation que par la Chambre des députés n’est partant pas opposable au journaliste, il en va autrement de la juridiction indiquée par la Constitution. Le Tribunal d’Arrondissement était partant incompétent. Le journaliste assigne donc son opposant devant l’Assemblée Générale de la Cour Supérieure de Justice. Celle-ci rejoint l’interprétation de la Cour d’Appel, et donc la supériorité des traités à la Constitution et aux normes de droit national. Cependant, et dans le cas d’espèce, aucun conflit n’existait en réalité entre la Constitution et la Convention. Cette dernière ne prévoit en effet aucun droit à la citation directe d’un criminel, juste un droit à un procès civil. Aucun conflit n’existait donc, mais la conviction totale que les traités seraient supérieurs aux normes nationales quoi qu’il arrive s’est imposée dans l’ordre luxembourgeois. Notre premier orateur est cependant critique d’une telle décision. Au fil des années en effet, Maître Kinsch est devenu de plus en plus distant de cette décision. Non pas de la décision et du principe qu’elle établit en elle-même, mais de son absolutisme. Pour le droit international public, aucun doute possible, c’est une décision juste et naturelle. C’est même une vérité indiscutable pour tout juriste de cette matière. Dans d’autres cas, il faudrait peut-être faire le choix inverse. Par exemple, dans le cas des membres du clergé qui sont soumis dans de nombreux États au Concordat napoléonien. Que faire dès lors en cas de conflit entre le Concordat et la Constitution nationale ? Le statut du Concordat est discuté. Supposons, pour la beauté de l’argument, qu’il ne soit finalement qu’un traité international conclu entre le Saint-Siège et l’Empire français, ce qui soulèverait la question de son application au Grand-Duché (alors département des forêts de l’Empire). En passant outre ces questions, et dans l’hypothèse où un conflit d’application devrait surgir entre le Concordat et la Constitution, pourquoi le Concordat devrait-il pré-valoir ? En application des principes démocratiques, il ne le devrait certainement pas. Un accord entre Napoléon et Pie VII ne devrait pas lier le Gouvernement et le Parlement national pour l’éternité. Une ba-lance des intérêts, correctement effectuée, signifierait que la Constitution primerait sur un traité. Ainsi, dans un exemple d’actualité sur les mêmes bases, les lois des différents États ayant légalisé l’usage du cannabis sont en conflit ouvert avec de nombreux traités . Quelle balance des intérêts effectuer ? Aucune des deux solutions ne choquerait notre orateur, tant que les décisions judiciaires qui s’ensuivront lui permettront d’égayer sa section de la chronique. [ L’ORIGINALITÉ DE LA PRATIQUE LUXEMBOURGEOISE : DATA EMBASSY, SPACE MINING ET LUXGOVSAT ] L’Ambassadeur Friden nous a présenté trois exemples illustrant des questions de droit international public non encore clairement tranchées. Par cet accord, la République d’Estonie va localiser au Luxembourg un ensemble de données comme sur une sorte de cloud bénéficiant d’un statut juridique particulier en droit luxembourgeois. La particularité de ce statut tient du fait que le Luxembourg conserverait des données propres appartenant à un autre État. En tant qu’État pionnier dans le domaine de la numérisation d’une partie de ses services concernant la vie de ses citoyens, l’État estonien dispose de larges bases de données digitales (registres de propriétés, données de santé, état civil, …) . Considérant l’importance capitale de ces archives numériques, l’Estonie a poursuivi depuis des années une politique visant à diversifier et à protéger ses bases de données contre des cyber-attaques ou des attaques plus conventionnelles. La « Data Embassy » s’inscrit dans le cadre de ces efforts. Il convient également de noter que le dernier article de l’accord bilatéral stipule qu’en cas de résiliation de l’accord, le Luxembourg devra remettre toutes les données stockées à un représentant légal de la République d’Estonie. En cas de difficulté d’identification dans la personne de ce représentant (à lire dans le contexte de l’histoire mouvementée de l’Estonie), le Grand-Duché aurait l’obligation de conserver ces données jusqu’à la présentation d’un représentant pleinement identifiable. Quant aux questions juridiques qui se posent dans le cadre de cet accord, notre orateur a soulevé que la première d’entre-elles serait certainement celle liée à la particularité d’une « ambassade » de don-nées dont les attributs classiques d’une ambassade seraient absents. Il n’y aurait en effet pas d’ambassadeur attaché à cette « Data Ambassy » - ce que l’Ambassadeur Friden considère être une omission importante car personne ne pourrait bénéficier des immunités en question. Par ailleurs, disposant de locaux, matériel, archives et d’autres éléments cette « ambassade » aurait également des caractéristiques qui entreraient dans le domaine d’application de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques de 1961 - notamment les articles sur l’inviolabilité des locaux et sur l’inviolabilité des correspondances. L’application de ces derniers serait importante selon l’Ambassadeur Friden en raison du fait que ce data center serait alimenté en permanence par des données en provenance de l’Estonie qui nécessiteraient une certaine protection. L’accord bilatéral en question prévoit un certain nombre d’immunités de ce genre qui feraient ressembler cette infrastructure digitale à une « ambassade » classique sans toutefois bénéficier de toutes les protections prévues par la Convention de Vienne. L’Ambassadeur Friden conclut en conséquence que la question juridique de la Data Embassy serait la possibilité de retenir certains aspects de la Convention de Vienne pour les adapter à notre « e-epoque ». La question principale qui se pose ici est celle du statut juridique de l’espace extra-atmosphérique. Serait-il possible juridiquement qu’un engin – ayant dûment obtenu un agrément conformément à la loi de 2017 – puisse atterrir sur un astéroïde, trouver différentes ressources, les récupérer et les rame-ner sur la Terre ? La grande difficulté en droit international public serait - surtout - l’absence de normes très claires. En effet, il existe le Traité sur l’espace – ou traité sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes signé le 27 janvier 1967 et entré en vigueur le 10 octobre de la même année - qui parle très clairement de l’impossibilité d’une appropriation de l’espace ; mais en l’espèce il ne s’agit pas d’approprier un objet céleste quelconque, mais plutôt de l’extraction de quelques morceaux. Un autre traité existant serait celui sur la Lune - signé à Genève le 5 décembre 1979 et entré en vigueur le 11 juillet 1984 - interdisant toute exploitation minière de la Lune. Or il convient de noter que le Luxembourg n’a pas ratifié ledit Traité (comme la plupart des États membres et grandes puissances spatiales). Dès lors, le statut juridique de ces ressources resterait douteux. Dans ce contexte, l’Ambassadeur Friden a évoqué l’avis du Conseil d’État au sujet du projet de loi du 20 juillet 2017 qu’il qualifie de « tout à fait passionnant » où ce dernier se serait demandé si le projet de loi en question apportait ou non une contribution à la « sécurité juridique » en la matière. Au niveau multilatéral, il y aurait beaucoup de discussions et de réflexions sur l’évolution éventuelle du droit international sur ce sujet. De plus, d’autres États dont les États-Unis auraient adopté des lois simi-laires, ce qui serait susceptible de jouer un rôle sur l’évolution du droit international. En effet, il pour-rait, en fonction des développements, s’adapter afin d’anticiper l’évolution de ce qui pourrait être techniquement possible à l’avenir. Nous nous retrouverions quand même avec un droit qui ne serait pas totalement clarifié mais où un texte - comme la loi du 20 juillet 2017 - apporterait une pierre notable à un édifice en construction. La particularité de ce satellite est la prestation de services de communication de qualité militaire (supérieure aux bandes civiles) à moindre coût. La grande question qui se pose est celle de la responsabilité éventuelle pour l’utilisation de ce satellite. Alors que les communications peuvent prendre des formes très diverses, il serait imaginable que quelqu’un entendrait utiliser ce satellite pour des actes qui pour-raient être contraires au droit international ou au droit d’un État. La Convention sur la responsabilité internationale du fait des objets spatiaux - faite à Londres, Moscou et Washington le 29 mars 1972 - prévoit en son article 2 une responsabilité absolue de l’État de lance-ment, mais cette convention semble surtout viser les dommages créés notamment sur Terre ou en cas de collision avec un autre vaisseau spatial. Cette Convention énonce certes un principe de responsabilité, mais la responsabilité suppose évidemment un acte fautif. Par conséquent, cet exemple poserait un problème de droit international potentiellement intéressant. L’importance des traités dans la politique luxembourgeoise. Le Prof. Heuschling souhaite clarifier les propos de Me Kinsch sur l’approche prétendument fondée sur une tradition re-montant au XIXème siècle et basée sur des documents parlementaires. Sur ce point, il précise qu’il ne s’agit pas du discours parlementaire mais du discours monarchique. Les monarques défendent cette tradition et il s’agit d’une tradition extrêmement forte au Luxembourg. Pour prendre un contre-point historique, un trait commun des juges luxembourgeois, notamment ceux du passé (et sans émettre de jugement de valeur), était que les juridictions luxembourgeoises étaient souvent très « timides ». Il fallait du temps avant que les juridictions luxembourgeoises suivent la Cour de Cassation belge ou française. Les juridictions luxembourgeoises sont connues pour tout, sauf pour l’audace jurisprudentielle, surtout la question délicate et politique des rapports entre droit interne et droit international. C’est donc une question politique et un choix politique. Il y a des modèles théoriques comme le modèle du monisme qui a été très bien déterminé par les travaux de Kelsen. Mais finalement quelle théorie choisir ? L’existence même de l’État luxembourgeois est ancrée dans ce discours depuis le XIXème siècle. Le point de départ, ce n’est pas 1815, mais c’est 1830 lorsque le Roi Grand-Duc Guillaume Ier crée l’État luxembourgeois en déclarant que « L’État est né en 1815 avec les traités » ! Du coup, tout le droit in-terne doit s’y rattacher. Le Roi Grand-Duc Guillaume Ier édicte ainsi la première constitution en vertu du traité de Vienne. Pour les kelséniens, c’est une illustration parfaite de la théorie de Kelsen. En plus de cette origine très marquée, il y a aussi l’élément politique de la survivance de cette tradition. Cette dernière a survécu malgré de vives critiques et notamment celles des libéraux qui estimaient (juste après la 1ère guerre mondiale) que la constitution était au-dessus du droit international en vertu des idées de démocratie. Cette tradition du droit international s’est consolidée par la rhétorique du parti du CSV naissant : le CSV étant un parti politique pro-monarchiste son axiome était que la Monarchie se défend en vertu des traités internationaux. Le CSV maintient encore aujourd’hui ce discours de la prééminence des traités qui reste profondément ancré au Grand-Duché. Revoir le paradigme existant. Il souhaite rebondir sur le paradigme existant aujourd’hui. Est-ce une bonne solution ou est-il nécessaire de réexaminer cette question ? Le Prof. Heuschling estime que le compromis existant est sous tension notamment à cause du droit européen et de l’approche fédéraliste de la Cour de Justice de l’UE (CJUE). En effet, la CJUE défend une approche fédéraliste adaptée à l’UE (jurisprudence Kadi). Dès qu’il y aura un conflit entre le droit de l’UE et le droit international global (des Nations Unions par exemple), cela pourra être problématique pour le Luxembourg. À ce moment-là, les acteurs luxembourgeois devront trancher s’ils maintiennent leur tradition du XIXème ou est-ce qu’au contraire les Luxembourgeois « deviennent Allemands » et adopte du coup - par le truchement du droit européen - l’approche fédéraliste germanique. Cela sera le défi majeur. Réponse de Maître Patrick Kinsch. Le dernier point est très intéressant. Si cela arrivait, les juges vont vraisemblablement se ranger du côté de la CJUE. Ils vont estimer que ce qui est important juridiquement c’est l’intégration du Luxembourg dans cet ensemble supranational qu’est l’Union européenne. À ce moment-là, le Luxembourg deviendra dualiste comme l’est la CJUE. Réponse de S.E. Monsieur Georges Friden. Des réflexions en cours sont formulées dans le cadre des Nations Unies et plus particulièrement à Vienne. La discussion porte sur le traité sur l’espace et s’il est nécessaire de travailler sur une interprétation de ce dernier voire de le modifier. Il est question de réunir des groupes de travail. Nous en sommes à un stade préliminaire. Il est trop tôt pour sa-voir ce qui va en résulter ou identifier des acteurs étatiques précis. Au fond, il y a deux thèses opposées comme lors des discussions sur le droit de la mer. La première thèse est une conception suivant laquelle certaines choses constitueraient un patrimoine commun de l’humanité. Il y aurait alors différentes conséquences dont l’impossibilité d’une appropriation mais non-exclusive d’une exploitation. La seconde thèse est que ce patrimoine commun doit être mise en valeur. Dans la mesure où une telle mise en valeur nécessite des investissements importants, un corpus de règles claires et précises est nécessaire. Sans cadre juridique adéquat, il ne peut y avoir d’investissements. Ces deux thèses se retrouvent lors des négociations concernant le droit de la mer mais aussi aujourd’hui concernant le droit extra-atmosphérique. Réponse de S.E. Monsieur Georges Friden. Si l’on reprend l’histoire du droit international public, la non-appropriation est un principe clairement acquis. La question de l’exploitation n’est pas tranchée. À l’époque où ces textes ont été adoptés, la question de l’exploitation semblait être « des plans sur la comète » ! Il n’y avait pas besoin de trancher sur cette question. Nous défendons le point de vue que la question n’a pas été tranchée d’une façon négative. Il faut voir maintenant comment le débat va évoluer. Je ne décrirais pas la situation comme celle du Luxembourg qui serait isolée par rap-port à d’autres États. Bien au contraire, en particulier tous les États pour lesquels cela peut devenir une réalité économique et technologique à relativement court ou moyen terme sont intéressés. Des textes comme le texte des États-Unis, mais aussi le texte luxembourgeois, apportent une contribution au paysage en la matière et font progresser la réflexion dans un sens selon lequel il faudra trouver inter-nationalement une entente sur le statut juridique des activités qui seront possibles dans l’espace. Mais ce statut même est à ce stade aucunement prédéterminé et on ne peut pas dire que les premiers textes seraient contraires à un consensus quelconque. Réponse de Maître Patrick Kinsch. Oui ! Il y a quelque chose qui a changé : les relations internationales sont perçues comme « moins dangereuses » aujourd’hui. Au XIXème siècle, les relations internationales étaient extrêmement dangereuses surtout pour un État comme le Luxembourg qui était entre l’Allemagne et la France. Ces deux États étaient parfaitement en mesure de faire en sorte que le Luxembourg n’existe plus. L’intérêt primordial du Luxembourg était sa survie. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, le Luxembourg s’est « enhardi ». Il commence à faire valoir ses propres intérêts. Il se peut que les relations internationales changent à nouveau et redeviennent dangereuses ! Réponse de S.E. Monsieur Georges Friden. Certains auteurs parlent d’une décentralisation des relations internationales. Ils prennent comme exemple l’illustration du « G zéro » (pas un G7 ou un G20) parce que les relations internationales deviennent plus décentralisées et un peu partout des États mais aussi des entités contribuent aux relations internationales. Sur le Space mining, le législateur tient à une conformité vis-à-vis du droit international : si l’on regarde le projet de loi 7093 sur le space mining tel que déposé par le gouvernement à la Chambre des Dépu-tés, l’article premier : « Les ressources de l’espace sont susceptibles d’appropriation en conformité avec le droit international ». Le Conseil d’État a longuement exposé ses doutes quant à l’état actuel du droit international. Le législateur a trouvé une solution, le texte dit maintenant en son article premier : « Les ressources de l’espace sont susceptibles d’appropriation. » ! Retranscription par le Petit Comité de la Conférence Saint-Yves – Mai 2020 Nicolas Duchesne, Stephen Lamothe, William Simpson, www.csy.lu / csy@cathol.lu |
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