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Banquet de la Saint-Yves 2017 - KOEN LENAERTS (Président de la COUR de JUSTICE de l’UE)Article dans le Paperjam (Banquet 2017) « On unit des peuples, des personnes, pas des États » Le président de la CJUE souligne le rôle moteur des citoyens dans l’intégration européenne à travers leur saisine de la Cour. Le président de la Cour de justice de l’UE était vendredi l’invité d’honneur de la Conférence Saint-Yves, association de juristes catholiques. Qu’il a convaincue, dans son allocution, de l’apport du citoyen de l’Union au projet d’intégration européenne. C’est un hôte de marque qui s’est présenté devant les membres de la Conférence Saint-Yves et leurs prestigieux convives – le ministre d’État honoraire Jacques Santer, les ambassadeurs de France, Benoît Perdu, et du Royaume-Uni, Robert John Marshall, le président du tribunal de l’UE, Marc Jaeger, et celui de la Cour administrative, Francis Delaporte. « Encyclopédie vivante du droit européen », souligne Me William Simpson, président de la CSY, Koen Lenaerts préside depuis 2015 la Cour de justice de l’UE dans laquelle il siège depuis 2003. Diplômé de l’Université catholique de Louvain mais aussi de Harvard, il enseigne à l’UCL depuis 1983 et a été juge de première instance durant 14 ans avant de rejoindre le Luxembourg. Si l’UE est souvent décrite et décriée comme trop éloignée des préoccupations de ses citoyens, le discours de M. Lenaerts vient contredire les préjugés par les faits et par la jurisprudence de la CJUE. Certes, les 30 premières années de sa jurisprudence ont été consacrées à l’établissement des grands principes juridiques que sont la primauté du droit de l’UE sur les droits nationaux et l’effet direct du droit de l’UE – c’est-à-dire que les textes législatifs de l’UE s’appliquent directement dans tous les pays et sont valables même si les États membres traînent dans leur transposition en droit national. Les affaires les plus importantes concernent l’Europe des citoyens. « C’étaient des pas de géant dans le développement de l’ordre juridique de l’UE mais ‘no one cared’ », souligne Koen Lenaerts. Et surtout pas les Européens qui ne disposaient pas des notions juridiques nécessaires à la compréhension de telles avancées. Sauf qu’à partir de 1987 et l’Acte unique qui a transformé le marché commun en marché intérieur, les frontières intérieures ont disparu et la Cour de justice des communautés européennes, comme on l’appelait encore à l’époque, a vu ses compétences élargies de traité en traité, de Maastricht à Lisbonne, au fur et à mesure de l’approfondissement de l’intégration européenne. « C’est lors de la deuxième phase de sa jurisprudence, de 1997 à aujourd’hui, que les principes juridiques appliqués par la CJUE ont sorti leur pleine puissance de feu dans un contexte de high politics : environnement, social, protection des consommateurs, asile et immigration, et coopération judiciaire en matière commerciale, douanière, administrative, etc. », poursuit Koen Lenaerts. « Je n’exagère en rien lorsque je dis que les affaires les plus importantes pour l’ordre juridique, qui passent en grande chambre à 15 juges, concernent l’Europe des citoyens. » Discrimination, consommateurs et internet D’autant plus que la CJUE, contrairement aux idées reçues, ne peut s’attaquer d’elle-même à un sujet. « Si un citoyen n’avait pas saisi le juge national pour réclamer ses droits, son cas ne serait jamais parvenu à la CJUE », précise le président de la Cour. « L’intégration européenne est donc tributaire de l’initiative de citoyens courageux. » Il en est ainsi d’arrêts majeurs sur le port de signes religieux sur le lieu de travail (Achbita et Bougnaoui), sur la non-discrimination sur la base de l’origine ethnique (Roms), sur la protection des consommateurs ou sur internet. La CJUE a ainsi donné raison au Barcelonais qui a saisi le juge afin de faire annuler une clause de son prêt hypothécaire faisant en sorte que le taux d’intérêt suivait les taux du marché à la hausse mais ne pouvait jamais descendre en dessous de 4% à la baisse. Elle a surtout reconnu la rétroactivité de l’invalidité de cette clause, rendant possible le remboursement du trop-perçu par les banques dans de tels contrats. La jurisprudence de la CJUE a aussi eu l’occasion de s’exprimer sur internet – « comme le Saint-Esprit, il est partout et nulle part », plaisante le juge – et son impact sur la vie des citoyens comme dans l’arrêt Google Spain qui impose au moteur de recherche de respecter le droit à la vie privée. Les États ont l’obligation d’éduquer les citoyens pour leur faire comprendre que l’UE est une dimension de leur unité sociale. La CJUE a encore consacré le droit d’accès à l’information invoqué par l’ONG Access Info Europe qui se voyait refuser l’accès aux documents du Coreper indiquant les positions des États membres sur les textes en discussion au Conseil de l’UE. « L’Europe est devenue une entreprise citoyenne, elle affecte la vie quotidienne des citoyens. Il est donc absolument important que les citoyens comprennent le système de l’UE. Les États ont l’obligation d’éduquer les citoyens pour leur faire comprendre que l’UE est une dimension de leur unité sociale. » Une éducation qui passe par les écoles, les médias et les discours politiques. « On unit des peuples, des personnes, pas des États », conclut le président de la CJUE. Discours d’introduction du Banquet de la Saint Yves du 30 juin 2017 Monsieur le Président de la Cour de Justice de l’Union européenne, Au nom du petit comité de la Conférence Saint Yves, j’ai l’immense joie et l’honneur de vous accueillir - ce soir - au banquet de la Saint-Yves et je vous remercie pour votre présence. 1. Mais avant de banqueter (le terme existe bien !) permettez-moi quelques mots d’introduction :
2. La Conférence Saint Yves est l’association des juristes catholiques au Luxembourg. La Conférence Saint-Yves a deux principales missions : a) la première est d’assurer une présence chrétienne au sein du barreau (i) par la célébration d’une messe de la rentrée judiciaire en invoquant le Saint Esprit ; Cette pratique est celle de toute confrérie de métier en Europe et cela depuis le Moyen-Âge et consiste à rappeler humblement qu’il existe un temps des hommes mais aussi un temps de Dieu. b) Le second but de la Conférence Saint-Yves est de réunir des juristes catholiques afin de proposer un forum de discussion et de réflexion dans tous les domaines du droit. Ce forum est ouvert à toute personne et est respectueux des opinions d’autrui. J’insiste ici, l’altérité est la condition sine qua non de tout dialogue fructueux. ll a toujours existé et il existera encore des « juristes » qui sont par ailleurs « catholiques ». Au Grand-Duché, cette liaison s’est effectuée avec la création de la Conférence Saint-Yves au début du XXème siècle. Les fondateurs de notre Conférence ont créé une association de juristes catholiques afin d’œuvrer pour « la défense d’un ordre social juste et équilibré » et ce pendant la période difficile de l’occupation et des mouvements sociaux de 1916. L’apport véritable de la Saint-Yves à la famille judiciaire luxembourgeoise aura été cette année l’organisation d’un cycle de conférences sur le « Rôle et la figure du juge » avec la participation de nombreux juges nationaux. Ainsi, Sir Michael TUGENDHAT (High Court of Justice) a ouvert ce cycle par un exposé sur « The English judicitial oath from 1346 to Today », puis M. Francis DELAPORTE (Président de la Cour Administrative) nous a posé la question suivante : « trancher avec netteté ou concilier dans la douceur ? propos libre sur la fonction du juge », M. Robert BIEVER (Procureur Général d’État honoraire) nous a entretenu de « l’office du juge au XXIe siècle », et enfin M. Jean-Claude WIWINIUS (Président de la Cour Supérieure de Justice), a abordé le projet du « Conseil de la Justice » et plus généralement la question de la transparence de la justice au Grand-duché. Le thème du cycle de conférences pour l’année judiciaire 2017-2018 a été fixé : il portera sur « La place financière et la règle de droit » et sera introduit par Maître Luc FRIEDEN, Président du conseil d’administration de la BIL et ancien ministre des finances et de la justice. Mais ce soir nous avons la joie et l’honneur de recevoir M. Koen LENAERTS, Président de la Cour de Justice de l’Union européenne, qui vient doublement :
3. Vous êtes ce soir, Monsieur le Président, notre orateur. Marié, vous êtes père de famille nombreuse. Vous avez vu le jour à Mortsel, dans la province d’Anvers. Vous avez « fait votre droit » à l’Université de Namur et à la Katholieke Universiteit Leuven (Université catholique de Louvain) et vous avez obtenu votre Master of Laws à l’Université de Harvard. Vous êtes docteur en droit - votre sujet de thèse porte sur une analyse comparative de la jurisprudence constitutionnelle de la Cour de Justice européenne et de la Supreme Court nord-américaine. Tout en ayant une activité académique, vous débutez comme référendaire à la Cour de Justice de l’UE auprès du juge René JOLIET qui vous a appris les rouages et la rigueur du métier. Juge au Tribunal de Première instance en 1989, puis Juge à la Cour de Justice de l’UE en 2003, vous en devenez le Vice-président, puis le Président en 2015. C’est cette même Cour qui est reconnue aujourd’hui comme « La plus puissante cour supranationale ayant jamais existée dans l’histoire européenne » tout en réunissant le plus fort taux de confiance des citoyens dans une institution. La presse parle de vous comme une « encyclopédie vivante du droit européen » et vous êtes en effet un auteur prolifique en cette matière dans tous ses différents aspects. A titre d’exemples, vos récentes contributions portent sur le principe de la démocratie dans la jurisprudence de la Cour de Justice de l’UE, et cette année, vous avez publié une contribution dans le Common Market Law Review intitulée « La vie après l’avis » (l’avis 2/13) dans lequel vous abordé le principe de confiance mutuelle entre les États Membres. 4. Ce court rappel de votre carrière me permet maintenant de présenter à notre auditoire le thème que vous avez choisi pour votre allocution de ce soir qui porte sur « L’apport du citoyen de l’Union au projet d’intégration européenne ». Ce thème m’a de premier abord surpris - le BREXIT retenant toute notre attention - puis j’ai pris la mesure de l’actualité de cette question notamment à la lumière de la jurisprudence récente du Tribunal de l’Union européenne. Je pense à titre d’exemple aux affaires concernant l’initiative citoyenne européenne (ICE), un droit de pétition ouvert à tous les citoyens de l’UE dans le but d’interpeller la Commission européenne et de l’inviter à présenter une proposition législative dans des domaines relevant de la compétence de l’UE. Ainsi, avant de collecter les signatures, les organisateurs de telles initiatives doivent les faire enregistrer préalablement auprès de la Commission européenne. La Commission va vérifier si l’initiative « n’est pas manifestement en dehors du cadre [de ses] attributions en vertu desquelles elle peut présenter une proposition d’acte juridique de l’Union aux fins de l’application des traités » (Art. 4 du règlement 211/2011). Ce contrôle préalable de la Commission a fait naître un contentieux devant le Tribunal de l’UE où ce dernier a confirmé certaines décisions de refus de la Commission européenne (par ex. : à propos de l’effacement de la dette publique onéreuse des pays en état de nécessité tel que la Grèce – aff. T-450/12) mais le tribunal a annulé des décisions de refus de la Commission (concernant par ex. l’initiative STOP TTIP et l’autorisation d’ouvrir des négociations en vue de la conclusion d’un accord de libre-échange entre l’UE et les Etats-Unis – aff. T-754/14). Depuis la mise en place de l’ICE, trois initiatives ont franchi le seuil du million de signatures requis :
La Commission européenne a proposé des mesures de suivis pour Right to Water et Stop Vivisection mais concernant One of Us, la Commission a rejeté cette initiative. Les organisateurs de cette initiative ont saisi le Tribunal de l’Union européenne pour demander l’annulation de la décision de la Commission. L’affaire est en cours (aff. T-561/14). 5. À la suite de M. Michel CAMDESSUS (FMI), M. Pascal LAMY (OMC), M. Dean SPIELMANN (CEDH), et M. Jean-Baptiste de FRANSSU (l’Institut pour les Œuvres de Religion - ladite Banque du Vatican), vous nous faites l’honneur Monsieur le Président d’être l’orateur de notre banquet de la Saint-Yves. Soyez vivement remercié d’avoir accepté notre invitation et soyez assuré - Monsieur le Président - que nous allons vous écouter très attentivement ce soir. Distingués Invités, Mesdames, Messieurs, chers Confrères, Je vous remercie chaleureusement de votre présence et me joins à vous pour écouter notre orateur. William SIMPSON Sources : ANGELROTH, Charles, « Un parcours d’un ancien étudiant de l’Université namuroise : Koen Lenaerts, juge à la Cour de Justice de l’Union Européenne », Libre cours (UNamur), juin 2011, p. 9. Livret du Banquet de la Saint-Yves |
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